Martin Fayulu, figure de proue de l’opposition congolaise, s’est adressé au président Félix Tshisekedi dans un ton inédit, mêlant gravité patriotique et urgence existentielle. « La balkanisation de notre pays, que l’on redoute depuis 1960, n’est plus une menace lointaine : elle est en marche, à grands pas. Nous devons l’arrêter », a-t-il déclaré, avant d’en appeler à une rencontre directe avec le chef de l’État, sans « faux-semblants », sans « compromissions », mais « par patriotisme ».

Ce discours, prononcé dans un contexte d’aggravation sécuritaire dans l’Est du pays et de fractures politiques de plus en plus visibles, a été perçu comme un virage. Fayulu, qui n’a jamais reconnu la légitimité de Tshisekedi depuis l’élection contestée de 2018, semble désormais prêt à engager un dialogue au nom de « la survie de la nation ».

La présidence n’a pas tardé à répondre. En moins de 24 heures, Tina Salama, porte-parole de Félix Tshisekedi, publiait un communiqué sur les réseaux sociaux saluant « le patriotisme et le sens de responsabilité de M. Martin Fayulu », affirmant la « disponibilité du Chef de l’État à le rencontrer ». Un cliché, montrant les deux hommes côte à côte, accompagnait cette annonce symboliquement puissante.

Kabila et Nangaa dans le viseur?

Au-delà de l’effet de surprise, le discours de Fayulu mérite d’être décodé. Ce dernier, tout en appelant à une rencontre avec Tshisekedi, a sévèrement tancé Joseph Kabila et Corneille Nangaa. « Aucune raison, même stratégique, ne saurait justifier une collaboration avec ceux qui déchirent notre pays », a-t-il lancé à l’ancien président, avant de lui demander explicitement de quitter Goma, ville occupée militairement par les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda.

À Corneille Nangaa, aujourd’hui à la tête de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), plateforme politique accusée de collusion avec les groupes rebelles et les intérêts rwandais, Fayulu adresse des mots d’une rare dureté : « Cessez d’être complice des massacres de nos frères et sœurs. […] Aucune ambition ne vaut le prix de la souffrance de tout un peuple. »

Ce double désaveu signe une rupture. Un repositionnement politique destiné à prendre acte d’un changement de paradigme : dans la nouvelle architecture des forces, Kabila et Nangaa apparaissent comme les visages d’un front accusé de pactiser avec l’agresseur. Fayulu, qui fut longtemps perçu comme un allié objectif de l’ancien président dans sa lutte contre Tshisekedi, prend ses distances.

Un rapprochement discret, mais préparé

Selon plusieurs sources proches du Palais de la Nation, ce rapprochement entre Tshisekedi et Fayulu ne serait pas improvisé. « Il y a eu des échanges indirects depuis plusieurs semaines », confie un conseiller présidentiel sous couvert d’anonymat. « Après le basculement de Kabila vers une posture ouvertement favorable à l’AFC et son séjour symbolique à Goma, Fayulu a compris qu’il ne pouvait pas rester dans une posture d’opposition figée. »
Les services diplomatiques occidentaux, notamment américains, ne seraient pas étrangers à ce réalignement. « Fayulu a été discrètement encouragé à se joindre au camp républicain », avance un proche de l’Union sacrée. « Il s’agit ici de construire une forme d’union nationale face au péril de partition du pays. »

Ce scénario, s’il se confirmait, bouleverserait l’équilibre politique congolais. En joignant ses forces à Tshisekedi, même de manière ponctuelle, Fayulu offrirait une caution morale et historique à une majorité jusque-là décriée. Et marginaliserait de facto Kabila et ses alliés.

Du côté de l’ECIDé, on nie toute alliance formelle. « Il ne s’agit pas d’un ralliement. Martin Fayulu veut dialoguer en homme libre, pour sauver le Congo, pas pour partager le pouvoir », assure un de ses conseillers. L’issue de la rencontre – si elle a bien lieu – dépendra donc des concessions que chacun sera prêt à faire.
Mais le simple fait que cette main tendue ait été acceptée montre que les lignes bougent, y compris dans les cercles les plus dogmatiques. La menace d’un démembrement du pays, la défiance croissante des populations face à l’impuissance des élites, et la montée des forces centrifuges ont créé une urgence qui transcende les clivages politiques.

En coulisses, l’idée d’un « front patriotique » est à l’étude. Autour de Tshisekedi, les discussions s’intensifient pour inclure Fayulu, mais aussi Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe, dans une sorte de grande coalition de salut public face au bloc AFC/M23/Kabila. Le défi ? Rassembler sans effacer les lignes rouges, unir sans reléguer les désaccords.

Reste que l’histoire politique congolaise est jalonnée de pactes de circonstance et de désillusions. L’enjeu est de ne pas sacrifier la vérité sur l’autel de la stabilité, ni de réduire la réconciliation à une opération de communication.

Mais si cette rencontre a lieu et donne lieu à un dialogue sincère, alors elle pourrait être le premier jalon d’un sursaut républicain – non pas un « deal » de pouvoir, mais un acte de résistance à la dislocation d’un État en sursis.

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